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Son amie n’exagérait pas. Rien n’est prêt, ni le thé, ni les sandwiches destinés aux guerriers kakis. Heureusement, M. le curé est bon prophète. Selon ses prévisions, le train des Anglais a du retard. Une demi-heure se passe sans qu’il soit même signalé. Tant et si bien que le pauvre M. Daliot, qui ne sait plus comment tromper l’attente, finit par s’agiter nerveusement sur le quai, où il se voit réduit à faire les cent pas.

Liette s’en aperçoit, au cours de ses propres allées et venues. Elle bourdonne en effet de-ci de-là, importante et affairée, très fière du rôle qui lui est dévolu et qui vaut infiniment mieux qu’elle ne craignait tout d’abord.

— Comme tu te tourmentes, mon pauvre papa ! dit-elle à l’impatient. Une chance, ce retard. Nous autres de la Croix-Rouge, on le bénit. Il nous sauve d’un beau fiasco !

Puisqu’il faut en prendre son parti, M. Daliot allume une cigarette. En somme, il n’est pas seul dans son cas. Et, rejoint par M. Noblet, le mari de la grosse dame, homme bavard et renseigné, il achève de se dérider en s’entretenant avec lui des événements de la guerre.

Tout arrive, même un train en retard. À onze heures cinq, le fameux convoi brûle les disques et vient stopper à quai. Première satisfaction, qui se double d’un petit fait tout à l’honneur des tommies. Il y a un moment, ceux-ci s’accordaient encore toute licence, enguirlandant de leurs torses puissants et de leurs faces hilares les portières des wagons, sur les toits desquels les plus turbulents, témérairement juchés, faisaient de la voltige. Et, tous, en bras de chemise, le col échancré à cause de la chaleur, de pousser des cris sauvages qui ne sonnaient qu’à demi comme des hourras. Mais, subitement, un curieux phénomène de bienséance collective et spontanée leur a rendu leur flegme et leur correction exemplaire de troupiers britanniques. La rame roule encore que ces grands