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pauvre homoncule ne demeurerait sur place, figé dans sa contemplation. Liette, au contraire, viendrait à rencontrer un prince charmant, le prince, à coup sûr, ne manquerait pas de la distinguer. Du moins elle en est convaincue. Au reste, il ne faudrait pas lui manquer et elle a horreur des impertinents. Qu’un fat s’avise de lui décocher une œillade trop audacieuse, elle le regarde si fixement et de si haut, avec tant de pudeur tranquille et de souverain mépris qu’il ne s’y frotte pas deux fois. C’est ce qu’elle appelle « l’art de garder ses distances ». Et sous ce rapport, chaperonnée par elle, Nise ne craint rien.

— Nous en avons un succès, Nise ! constate-t-elle.

Nise, un peu rouge, détourne les yeux, sans relever la réflexion.

— Il y a un soldat qui nous salue, reprend Liette. C’est le sergent Lugon. Tu sais, le fils du percepteur. Réponds-lui donc, Nise. Il est très bien, le fils Lugon, et il a la croix de guerre… Tiens, le voici qui parle à papa.

Les jeunes filles s’arrêtent, reviennent sur leurs pas, mais M. et Mme Daliot, au soulagement de Nise, ne cherchent pas à retenir le sergent qui, de son côté, a la délicatesse de les laisser poursuivre leur route.

Tout le monde n’est pas admis sur le quai de la gare, mais Liette n’a de cesse que M. Daliot, usant de toute son influence et de toute son éloquence, n’ait forcé la consigne au profit des siens. Cela fait, autre rencontre, plus mouvementée celle-ci. Une dame de la Croix-Rouge, personne d’un certain âge, rondelette et sémillante, se précipite vers Mme Daliot :

— Vous, ma chère Germaine ! C’est le ciel qui vous envoie ! Nous voulons offrir le thé à ces braves tommies et voyez notre embarras ! On nous a prévenues au dernier moment, rien n’est prêt, et c’est à ne plus savoir où donner de la tête… Je requiers vos services.