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Le crépuscule, doucement, descend dans le beau cirque que les montagnes dessinent autour de la vieille ville. N’était cette température sénégalienne, l’heure serait divine. Pourpre encore au couchant, le ciel s’irise merveilleusement derrière la chaîne, naguère violette, maintenant bleu sombre, presque noire, de l’Épine. Et voici qu’au sud-est un dernier reflet de l’astre naufragé, une sorte de rayon cramoisi qui fait flèche, ensanglante le chef tragique du Granier, cependant qu’en face le Nivolet et son voisin le Revard se drapent fantômalement dans des brumes grisâtres où palpite parfois la sourde réverbération d’un éclair.

— Eh ! mais, il a l’air de se coiffer, le Nivolet ! remarque M. Daliot. L’orage pourrait bien éclater tout de même !

Liette ne s’émeut pas outre mesure du pronostic. On approche du chemin de fer. Si l’orage éclate, on s’abritera sous le hall, voilà tout.

Cette sorte de philosophie a pour effet habituel de désarmer l’archiviste qui a eu soin, d’ailleurs, d’emporter son parapluie. Aussi bien, ne s’aventure-t-on pas plus que les nombreux concitoyens qui affluent du côté de la gare.

Toute la ville semble dehors et l’incroyable est que M. le curé n’ait pas entendu parler plus tôt de ce passage d’Anglais. Lui seul devait ignorer la nouvelle, si l’on en juge par cette animation insolite qui rappelle celle des beaux dimanches du temps de paix où, jusqu’à une heure avancée, le bon peuple chambérien envahissait ses jardins et ses magnifiques allées de platanes, illuminées a giorno par les globes des lampes à arc. Mais ce soir, ce peuple est mieux qu’un troupeau moutonnant derrière un autre troupeau. C’est une foule silencieuse et recueillie, une foule qui ne rit pas, qui ne crie pas, qui va dignement, gravement, comme à une cérémonie. On est en guerre et on va voir des soldats alliés, de braves troupiers britanniques. Les saluer, leur souhaiter bonne