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CYRANETTE

Pas assez peut-être avec Nise… Ne vous excitez pas. Nous sommes ici pour nous entendre dire nos vérités. Et, en vous disant les vôtres, je n’ai pas l’intention de vous blesser, mon enfant, mais de vous montrer d’où est venu le mal qui a déjà fait une victime et qui, hélas, risque d’en faire d’autres, malgré l’ardeur de nos vœux pour le conjurer. Le mal, Germaine, est venu de votre extrême indulgence pour votre benjamine et, d’autre part, d’un défaut de pénétration qui ne vous a pas permis de lire dans le cœur de Nise, comme j’y ai lu moi-même, trop tardivement.

Toute bonne chrétienne qu’est Mme Daliot, il faut que ce soit l’abbé Divoire qui lui parle ainsi pour qu’elle l’écoute sans se fâcher, tant elle est convaincue d’être une mère juste et qui ne fait aucune différence entre ses enfants. Mais, le premier mouvement d’orgueil passé, il y a trop de bonne foi en elle, et elle a trop conscience de ce qu’il en coûte à ce vieil ami de lui dire si franchement sa façon de penser, pour qu’elle ne reconnaisse pas ce qui est. Et, si elle n’a pas péché sciemment, n’a-t-elle pu pécher par inadvertance ? Il ne l’accuse pas d’avoir sacrifié délibérément l’une de ses filles à l’autre. Ce serait inique parce qu’excessif. Il ne prétend même pas qu’elle aurait pu agir autrement qu’elle ne l’a fait. Il sait que la perfection n’est pas de ce monde. Il constate simplement que, s’il y a une coupable, la coupable n’est pas Denise. Denise, coupable ? Et de quoi donc, Seigneur ? De s’être effacée ? D’avoir laissé Liette circonvenir ce cœur d’homme qui, au fond, ne battait que pour elle, comme le sien ne battait que pour lui ?

— Et est-ce sa faute, à cette chère petite, si sa chair n’a pas toujours été aussi stoïque que son âme ? plaide éloquemment le bon prêtre. Est-ce sa faute si cet amour qu’elle a refoulé tout au fond d’elle lui arrache encore parfois un soupir ou une larme ?

— Non, convient Mme Daliot, émue au-delà de