Page:Sevestre - Cyranette, 1920.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tences, et n’apporte que des bouffées de chaleur, car il est brûlant et chargé de poussière comme le sirocco. Dans le parc, les ramures jouent languissamment de l’éventail, puis s’immobilisent complètement, comme accablées par la lourdeur de l’air. Symptôme plus inquiétant encore : de grosses nuées basses et sombres roulent sur la campagne, vers le Nivolet, dont le cône semble si proche qu’on croirait y atteindre en allongeant la main. Mais le ciel n’est qu’une opale et la cime du mont s’y détache nettement, avec sa croix lilliputienne.

— Eh bien ? interroge l’abbé. Ce vieux Nivolet a-t-il son bonnet ?

Liette se retourne en battant des mains.

— Nenni, monsieur le curé, et c’est un excellent signe, ne vous en déplaise.

— Oui, convient-il. Je me trompais, allons ! L’orage n’est pas encore pour ce soir.

Lentement, comme à regret, il achève son café, en discutant de choses et d’autres avec l’archiviste qui a la manie du paradoxe et qu’il prend plaisir à taquiner.

Les deux hommes sont aussi érudits et aussi bons causeurs l’un que l’autre et l’on a fort à faire pour mettre fin à leurs controverses politiques, scientifiques ou historiques. Mais leur marotte, c’est le Granier et son cataclysme légendaire.

Cette célèbre montagne des environs de Chambéry se fendit en deux vers le milieu du douzième siècle, pour des causes encore mal définies, et il en résulta un énorme glissement de terres. Il y avait, au pied du colosse, une vallée profonde et vaste, peuplée de gros bourgs et de nombreux hameaux. Tous furent engloutis par la prodigieuse avalanche. Et, depuis vingt ans, M. le curé et M. Daliot, aux prises sur ce problème, font les recherches et les études les plus savantes sans que ni l’un ni l’autre ait réussi à découvrir l’argument décisif qui lui permettrait de persuader enfin le