Page:Sevestre - Cyranette, 1920.djvu/149

Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
CYRANETTE

— Tu disais que rien ne pressait, qu’il valait mieux attendre la fin de la guerre. Et maintenant…

— Oui, nous avons réfléchi. Ta cadette est mariée. Ton tour doit venir le plus tôt possible. Et Bernard Lugon…

— Jamais ! a coupé Nise.

— C’est ton dernier mot ?

— Oui, maman.

— N’en parlons plus.

Et, quelque déçue et embarrassée qu’elle puisse être, — car, ce pauvre Bernard, comment lui rapporter un refus si cassant ? — Mme Daliot n’en parle plus en effet. Mais son attention, maintenant, est en éveil.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Comment interpréter cette répugnance pour le mariage chez une jeune fille que tout destinait à faire une bonne épouse et une bonne mère ? Et — Mme Daliot en revient là, malgré les dénégations de Nise — si elle ne veut pas se marier, n’est-ce pas qu’elle ne peut se marier à son idée ? N’est-ce pas que son cœur est pris sans espoir, par l’un de ces amours impossibles qui, lorsqu’on leur est fidèle, nous condamnent aux amertumes et aux regrets stériles d’une vie manquée ? Mme Daliot le croirait assez, n’était qu’elle ne voit pas bien qui pourrait être l’objet d’une telle passion. Depuis 1914, on ne sort pas beaucoup et l’on ne reçoit pas davantage. Au moment des fiançailles de Liette, on a resserré quelques liens distendus par la guerre et c’est, ainsi que Mme Lugon et Mme Daliot en sont venues à envisager l’union éventuelle de leurs enfants. Mais c’est tout. En dehors de Bernard, nul jeune homme n’a pu approcher suffisamment Denise pour se faire aimer d’elle, serait-ce sans réciprocité.

Finalement, ne trouvant pas, Mme Daliot en appelle à son mari, qui se contente de hausser les épaules :