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CYRANETTE

de ses distractions que c’est lui qui la troublait et la rendait rêveuse, il était encore plus aveugle qu’elle !

— Bernard Lugon ? Mais je ne sais pas, moi ! a-t-elle balbutié.

— C’est que… je vais te dire, Denise, il est tout disposé à demander ta main.

— Qu’il s’en garde bien ! s’est-elle récriée avec une vivacité, une agitation extraordinaires.

— Aurais-tu un autre parti en vue, ma fille ? a interrogé, d’un ton légèrement caustique, Mme Daliot.

— Aucun.

— Tu m’étonnes… Voyons ! Bernard ne peut t’être antipathique ?

— Il m’est indifférent.

Mme Daliot, du coup, a jugé bon de jeter du lest.

— Soit ! C’est qu’il ne t’aura pas bien fait sa cour, ce garçon. Il est timide et donc assez emprunté. Dans l’ordinaire de la vie, tous les héros du front sont de même une gaucherie incroyable. Ai-je besoin de te dire que ce n’est pas là un signe d’infériorité morale ? Timide, qui l’est plus que toi ?

— Je t’en prie, maman, a supplié la jeune fille. N’insiste pas.

— Pourtant…

— Je n’ai pas envie de me marier. Ne suis-je pas bien avec papa et toi ?

— Mais, mon enfant, il faut songer à ton avenir !… Je ne prêche pas pour nous. La maison n’est déjà plus ce qu’elle était du temps de Liette et, quand tu seras partie à ton tour, nous y pousserons bien des soupirs, ton père et moi. Mais si les parents peuvent ressentir leur abandon, cet abandon est trop naturel pour qu’ils songent à s’y soustraire. C’est là un genre d’égoïsme qu’on ne leur connaît guère, Nise. Ne nous accorde donc pas plus que nous te demandons. Pourvu que tu sois bien établie, le reste importe peu.