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CYRANETTE

incline à croire qu’en voulant alléger sa peine je risque de l’aggraver. Comme nous sommes destinés à reposer sous le même toit et à manger à la même table, il faut bien faire en sorte de nous regarder autrement qu’en chiens de faïence, lui et moi, n’est-ce pas, chérie ? Mais, jusqu’ici, je confesse que mes avances n’ont guère eu de succès. J’ai beau faire, il ne se déride pas. Non qu’il soit précisément renfrogné. Il est trop gentleman pour me manquer d’égards en quoi que ce soit. Seulement, ses silences pendant les repas, ses longues rêveries ensuite, font de lui un hôte assez distant qui me glace et m’empêche d’être moi-même quand nous sommes en tête à tête.

« Tu n’ignores pas que mes deux belles-sœurs, Gerty et Gladys, se sont mariées de leur côté depuis que Robert est revenu du front. Si c’est heureux pour elles, c’est regrettable pour moi, car leur compagnie m’eût empêchée de trouver le temps long en l’absence de mon mari. Il ne m’a pas encore quittée. Mais il ne sera pas toujours avec moi, je veux dire toute la journée.

« Hier encore, il m’a dit :

« — Chère âme, je vais être obligé de reprendre contact avec nos gens. Ce qui nous différencie des landlords, des grands propriétaires fonciers, nous gentlemen farmers, c’est que nous n’avons pas d’intendants, pas même de métayers. Nous exploitons directement nos terres.

« — Oh ! Robert, je ne vous vois pas très bien conduisant une charrue ou une herse.

« — Ce n’est pas de mon ressort non plus, quoique j’y sois assez habile à l’occasion. Mais nos gens ne sauraient être livrés plus longtemps à eux-mêmes. Le maître doit toujours payer de sa personne et mon père, ai-je besoin de vous le dire, ne s’occupe plus de rien.

« — Accordez-moi encore quelques jours, darling ! Le temps de me familiariser un peu avec les autres.