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CYRANETTE

chérie, espérons que l’esprit est moins étroit, moins rigide… »

Cet espoir de Liette, si Nise en juge par la suite de sa correspondance, ne paraît guère devoir se réaliser. Heureusement, ce n’est là sans doute qu’un petit mécompte et qui ne donne que plus de piquant à sa verve endiablée :

Oak Grove, Sidmouth, le 25 juin 1918.

« Enfin, ma bonne chérie, nous voilà donc à destination ! Si les voyages forment la jeunesse, ils contribuent également à lui ôter quelques illusions et je viens d’apprendre à mes dépens qu’il n’y a pas que sur le P.-L.-M. ou sur la compagnie du Nord que les trains luttent de lenteur avec les tortues et partent ou arrivent quand il leur plaît. Tu peux franchir le détroit. Sous ce rapport, tu ne seras pas trop dépaysée.

« En revanche, méfie-toi de certaines descriptions imagées dont le lyrisme s’excuse d’ailleurs chez un soldat qui a une âme de poète et qui, dans son exil, n’entrevoit la patrie qu’à travers le prisme de sa nostalgie (ça, c’est une phrase de composition française que je repêche dans le répertoire de Mlle Adélaïde). Je ne veux pas dire par là que le Devon soit de la gnognotte en tant que pays. Et, d’après ce que j’ai pu voir au cours des quelques promenades que nous avons déjà faites à droite et à gauche, mon mari et moi, le cadre est bien tel qu’il nous le peignait dans ses lettres d’Italie. Tu y retrouverais les verts pacages qu’il célébrait, et ses beaux champs qui rejoignent les grèves, et ses jolis chemins bordés de chèvrefeuilles et d’églantiers. Mais, je ne sais pourquoi, il me semble que sur le papier ça faisait mieux qu’au naturel et, te rappelant notre Savoie, sa couronne de neiges et de glaces, ses gorges, ses vallées et ses lacs, tu ne pourrais t’empêcher de penser des environs de Sidmouth : « Eh ! quoi, n’est-ce que cela ? »