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CYRANETTE

où il est resté à se morfondre avec moi jusqu’à notre arrivée dans les jetées de Folkestone. C’est un si bon garçon, Robert ! Et qu’il m’est doux de l’entendre m’appeler « my child ». Son enfant, des fois, Nise, il me semble que je le suis plus que sa femme, bien qu’il ne soit pas d’âge à être mon père, tant s’en faut. Il est si sérieux, lui, si posé, si réfléchi ! Et moi je suis si turbulente, si évaporée, si petite fille !

« Londres, où nous sommes arrivés hier, un peu fatigués, ne m’a pas plu, de prime abord, comme Paris. On me dit bien que sa physionomie a changé depuis la guerre et qu’il a passablement souffert des raids de gothas et de zeppelins. Possible. Mais Paris aussi a souffert et s’il n’offre pas plus d’animation que Londres, surtout en ce moment-ci, il garde, même dans le danger et l’angoisse, un je ne sais quoi de crâne et de pimpant que je cherche en vain ici, où les gens me déconcertent par leur gravité morose. On dirait que toute joie est bannie du royaume et c’est, dans les rues, comme un défilé d’automates pensifs et silencieux qui, le nez dans leur gazette, semblent vivre exclusivement des nouvelles de la guerre. Et puis, avec les Anglais, il faut constamment s’observer. Au Claridge, où nous sommes descendus, ce n’est pas comme dans nos braves petits hôtels du Midi, où je me sentais toujours à l’aise. Il y sévit un règlement draconien bien plus à l’usage des vieilles misses et des ambassadeurs que des jeunes mariés. Ainsi on n’y dîne qu’en habit et en toilette de soirée. Et ce qu’il y a de mieux, c’est que Robert trouve cela tout naturel. Je te le dis entre nous. Ne va pas le répéter à maman, elle ne manquerait pas d’en tirer argument contre moi qui, naïvement, croyais à l’absence de préjugés et de conventions chez nos voisins et qui me suis mariée tout bonnement en robe de ville. Ma consolation, c’est que Londres et puis Sidmouth, ça fait deux. Là-bas, ma