Page:Sevestre - Cyranette, 1920.djvu/139

Cette page a été validée par deux contributeurs.
137
CYRANETTE

« Aussitôt gréée — comme disent les marins — mon intention était de remonter sur le pont, en dissimulant mes vessies sous ma pèlerine de bord. Tu comprends, je ne voulais pas me tenir en bas. Lorsqu’on est torpillé, l’eau peut envahir la cale avant que l’on ne s’en échappe et l’on risque d’y être noyé comme une souris dans un baquet. Mais la tempête était si violente que d’énormes paquets de mer balayaient jusqu’à la dunette et que, pour ne pas être enlevée, j’ai dû me blottir dans l’entrepont, entre deux grandes caisses assez bien arrimées.

« Robert ne me savait pas là. Sur ces maudits paquebots qui piaffent et se cabrent à la lame comme des chevaux-marins, les messieurs ont leurs couchettes à part des dames et il me croyait dans la mienne. Mais, au bout d’un quart d’heure, étant venu voir comment j’étais installée, ce qui était son droit, et si je ne souffrais pas trop du mal de mer, ce qui était son devoir, voilà-t-il pas qu’il constate ma disparition ! Gros émoi, d’autant que la stewardess de service n’était au courant de rien. Très inquiet, il me cherche partout et finit par me découvrir, transie et mourante, entre mes caisses, sous ma pèlerine toute trempée ; avec mon sac à main et ma ceinture de vessies.

« — By Jove, que faites-vous là, Liette ? s’effare-t-il.

« Moi, j’avais à peine la force de parler.

« — Vous voyez, darling, je suis en train de rendre l’âme par amour pour vous. Je me suis engagée à vous suivre comme votre ombre. Je vous suivrai. Mais, de grâce, ne me parlez plus de la mer. Je la hais.

« — Venez, mon enfant. Il faut vous mettre à l’abri en bas.

« — Non ! non ! On y est trop mal, en bas. Cela sent trop l’huile, le cambouis et le renfermé.

« Alors il est allé chercher des oreillers et des couvertures pour m’arranger un nid plus douillet