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CYRANETTE

« — N’y en aurait-t-il qu’une, madame, cela devrait vous suffire.

« Robert m’a empêchée de continuer la discussion qui menaçait de s’aigrir et Yvonne a tout arrangé en expliquant au monsieur que j’étais une jeune lady peu au courant des raids, bien que mon mari, ici présent, eût fait campagne jusqu’en 1917 et rapporté de la guerre, en sus d’une grave blessure, trois ou quatre citations et la Victoria Cross.

« Aussitôt, changement à vue. Le vieux monsieur a serré énergiquement la main de Robert, la vieille dame est devenue on ne peut plus aimable avec moi et la concierge m’a déniché un tonnelet sur lequel j’ai pu m’asseoir. Au fond, vois-tu, nous étions entre braves gens et je me suis richement amusée, car c’étaient des types, tu sais. Une autre dame, très liante et empressée — la voisine du dessous d’Yvonne — avait amené son petit chien, un amour de King’s Charles, laid à ravir, hargneux de même et répondant au nom distingué de Pépé. Deux antiques demoiselles, les sœurs Plumet, bien déplumées d’ailleurs dans leur toilette de nuit, étaient accompagnées de leur chat Kiki, de leur serin Fifi et de leur poisson rouge Coco. Citons encore un gros bonhomme rondouillard et grasseyant, très ferré sur la question des points de chute ; une jeune femme distinguée qui se tient très bien à la cave ; une autre jeune femme moins distinguée et qui s’y tient très mal ; un vieillard soupçonneux qui ne lâche pas son sac de cuir bourré, dit-on, de bijoux et d’argent ; et l’as de l’équipe, un beau petit jeune homme pâle et mince, en pantoufle et redingue, réformé no2, je crois, pour faiblesse de constitution, mais orateur de première force, très informé des dessous de la guerre et qui, par des arguments saisissants, réussit à raffermir les courages que les sombres prédictions de la concierge et la longueur inusitée de l’alerte avaient quelque