Page:Sevestre - Cyranette, 1920.djvu/129

Cette page a été validée par deux contributeurs.
127
CYRANETTE

bout de leur rouleau. Bref, notre mot d’ordre à nous, c’est celui de Pétain : « Courage ! On les aura ! »

« Mais nous voilà loin de l’avenue Reille, hein ? Moins que tu te le figures, ma chérie, car les grosses pièces qui abîment Paris — un obus, pas plus tard qu’il y a trois jours, est encore tombé sur une église dont le nom commence par une M. et finit par un E, comme celui d’une célèbre pécheresse repentie — et les gothas, qui prennent l’habitude de le survoler presque chaque nuit, font que l’on y est un peu comme au front. Cela vous donne un aperçu de la guerre et de ses horreurs et, cette nuit, nous en avons eu plus qu’un aperçu, tu peux m’en croire.

« C’était après dîner. Dans la journée nous avions visité un peu la ville, qui est toute drôle avec ses nombreux abris de bombardement, ses statues déboulonnées ou enfoncées sous des sacs de terre, ses vitres sous bandes et les emplâtres de ses soupiraux. Certains quartiers, presque déserts, ne montrent que boutiques closes et fenêtres garnies de leurs auvents, tandis qu’un peu plus loin les gens continuent de vaquer à leurs affaires comme si de rien n’était. Par exemple, quand vient le soir, toutes les rues ont l’air de coupe-gorge, tant elles sont parcimonieusement éclairées.

« Au lieu de ressortir, nous étions donc restés chez Yvonne, à causer avec elle. La pauvre fille s’ennuie beaucoup de son mari, qui est toujours soldat, et je renonce à te dépeindre sa joie de nous avoir un peu. Et nous allions nous coucher quand, patatras ! Alerte ! Une auto de pompiers débouche à fond de train de la rue de la Glacière et s’engouffre dans la rue de Tolbiac, cornant de la trompe et jouant horriblement de la sirène.

« Moi je m’écrie :

« — Ça y est : Un raid !

« — Ne t’effraie pas, me dit Yvonne. La maison a