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CYRANETTE

spacieux, donne à la fois par devant sur la partie de l’avenue bordée d’acacias qui est exposée à l’est et, par derrière, sur des jardins, de basses constructions d’usines et l’immense quadrilatère de l’asile Sainte-Anne, tout planté de beaux grands marronniers. Nulle part, la vue n’est arrêtée. De l’air, de l’espace. On se croirait presque à Chambéry, si ce n’est qu’il y a plus de toits que de montagnes aux environs, et que ces montagnes, même celle de Sainte-Geneviève, que l’on découvre d’ici, comme on découvre la butte Montmartre, seraient de simples taupinières près du Revard ou du Nivolet.

« Ne t’étonne pas trop, ma chérie, de ces détails topographiques dont l’importance t’apparaîtra dans la suite de mon récit, vraie page d’histoire, s’il te plaît. Une page inédite, même, et qui, je l’espère, ne tombera pas sous l’œil d’Anastasie. Sans quoi, dame, je pourrais passer un mauvais quart d’heure. Ma foi, tant pis. Je suis pour la sincérité, moi. Pas de défaitisme, mais pas de bourrage de crânes non plus. Il faut voir les choses comme elles sont, qu’en penses-tu, Nise ? Or il n’y a pas à se le cacher : l’ennemi est revenu sur la Marne et, à l’heure qu’il est, avec tous ces va-et-vient de troupes, nous ignorons encore si nous pourrons passer le canal.

« On verra bien. Situation critique ne signifie pas partie perdue. Les Américains arrivent en foule. Lloyd George nous envoie aussi du renfort. De leur côté, nos braves poilus ne reculent que pas à pas et… chut ! taisons-nous, méfions-nous, mais sache qu’il se prépare vraiment de grandes choses. Alors pourquoi désespérer ? Je l’ai toujours dit que nous serions vainqueurs à la fin. Je te l’affirme à nouveau. Et pas comme cela, en l’air. Parce que j’ai de sérieux motifs de le penser. Robert est comme moi. Il est persuadé que le temps travaille pour nous, que ça se tassera, que les Allemands ne tarderont pas à être au