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regards qu’elle risque par-dessus cet étroit horizon, vers les magiques, mais un peu troublantes perspectives du mariage. Au lieu que Juliette ne doute de rien. Enfant gâtée de la maison, elle en est aussi l’enfant terrible et elle ne cache pas son intention de s’y « morfondre » le moins longtemps possible.

Il n’y a pas, du reste, l’ombre de méchanceté dans son cas, du moins de méchanceté foncière, et, si elle réfléchissait toujours avant d’agir, si elle n’agissait jamais qu’à bon escient, elle ne ferait pas de mal à une mouche. Mais il y a chez elle un fond d’égoïsme qui s’ignore et un caractère à la fois mutin, fantasque et autoritaire qui lui composent une nature singulièrement complexe, où le romanesque et le frivole le disputent à un sens très positif et très pratique de la vie.

Cœur et cervelle de linotte corrigés par une sorte d’instinct qui lui tient lieu de bon sens et qui la rend assez forte pour vouloir ce qu’elle veut et assez clairvoyante pour discerner son intérêt : telle est cette étrange petite Liette, qui, nonobstant ses petits caprices, ses petits travers et ses petites infériorités morales, se charge de réussir là où Denise, si vertueuse et si bien douée soit-elle, risque d’échouer par trop de timidité ou de sentiment. Quand Liette se mariera, il y a gros à parier que son inclination s’accommodera de solides espérances. Nise, elle, sera toujours à la merci de son cœur. Et Mme Daliot, qui sans doute le comprend, ne respirera vraiment que le jour où Denise aura le bon époux qu’elle mérite…

Mais revenons à M. le curé. Épanoui, guilleret, il hume son moka par petites gorgées, puis fouille dans la poche de sa soutane et, tranquillement, en tire une pipe de bruyère, au court tuyau d’ambre et au foyer artistement « culotté ». De toute évidence, pris au charme du milieu, il ne pense plus à la promenade que ses hôtes doivent faire du côté de la gare. Liette s’en avise et, rieuse, le menace du doigt :