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CYRANETTE

je ne serai pas près de refranchir l’eau une fois de l’autre côté du détroit… Mais qui sait ? Tout s’arrangera petit-être, Nise. On dit que Foch prépare un coup. S’il culbute Ludendorff comme le père Joffre a culbuté von Kluk, sur la Marne, la paix ne tardera guère. Et alors les autorités françaises et britanniques ne nous raseront plus avec leurs formalités. Les trains remarcheront comme auparavant, les paquebots reprendront leur service régulier et, si je ne viens pas la première, vous en serez quittes, mère, père et toi, pour aller me voir dans le Devonshire. En tout cas, ma chérie, promet solennellement Liette, compte sur moi pour t’écrire. Je te mettrai un mot de Paris et t’enverrai des vues de partout où nous passerons, et aussi de longues lettres où tu trouveras mes impressions d’Angleterre… Es-tu contente ?… Non ?… Tu ne réponds pas ?… Tu te détournes ?… Ah ! Nise, Nise, ce n’est pas bien, ça. Pleurer parce que je ris ! Te rendre malheureuse de mon bonheur !

Nise a un geste de protestation violente, mais elle ne peut dissimuler les larmes qui lui jaillissent des yeux. Liette lui passe les bras autour du cou.

— Ma chérie, pardon !… Embrasse-moi ! Je t’aime bien, tu sais… Oui, va, je m’explique ta peine… Mais, puisque je te reviendrai bientôt ! Puisque tu iras me voir là-bas ! Allons, faisons risette à votre jeune sœur, grande vilaine, et embrassons-la, embrassons-la vite, mieux que cela. Autrement, dame, je croirais… Non, ce n’est pas vrai. Je ne crois rien. Mais embrasse-moi, Nise, et ne pleure plus. Là, c’est fini ! Tu es la meilleure des filles, ma chérie. Et rappelle-toi ce que je te dis : avant longtemps, tu feras un bon mariage, toi aussi, et tu riras bien en pensant que tu avais du chagrin, parce que, moi, ta cadette, j’ai trouvé à me caser avant toi.