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CYRANETTE

vite au gré de Nise, il traîne joliment au gré de sa sœur qui, comme les soldats à la caserne, compte les jours sur le calendrier.

— Plus que huit !… plus que six !… plus que quatre !… songe l’une en frissonnant malgré elle.

— Encore sept !… encore cinq !… encore trois !… geint l’autre, qui bout d’énervement.

Et avec son égoïsme qui s’ignore, cette inconscience qui lui est habituelle, ce peu de mémoire qu’elle a dès lors que son intérêt ou son plaisir est en jeu et que, sans mauvaises intentions, par étourderie, elle fait abstraction de ce que peut penser et endurer Nise, dont après tout elle n’est pas censée savoir le secret, Liette déclare :

— Je m’explique à présent pourquoi les tommies chantent Tipperary. Dieu que c’est long, Nise ! Dieu que c’est long !

Elle jette un coup d’œil par la fenêtre, constate que le ciel est clair, que le Nivolet n’a pas son bonnet, et reprend :

— Tiens ! je voudrais être plus vieille de trois jours et même de dix. Nous nous amuserons bien pendant le séjour de Robert à Chambéry. Nous retournerons à Aiguebelette avec lui et tu nous accompagneras cette fois, Nise, ainsi qu’à Aix-les-Bains, au Bourget, au Granier, aux Gorges du Fier, bref, partout où je le conduirai. Mais tu connais les idées de maman. Elle ne nous lâchera la bride sur le cou que lorsqu’elle ne pourra plus nous tenir, et nous ne serons vraiment tranquilles qu’une fois mariés. Alors mon seul chagrin sera de vous quitter, papa, elle et toi, peut-être pour très longtemps. Pas le jour de mes noces, puisque je vous reverrai après notre petit tour dans le Midi. Quand nous filerons sur Paris, veux-je dire. Car il paraît qu’il est extrêmement difficile d’obtenir des passeports entre la France et l’Angleterre et, si la guerre ne finit pas bientôt, ce qui est peu probable du train dont vont les choses — ces nouvelles offensives boches, qu’en dis-tu, hein ? —