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CYRANETTE

— Je ne dis pas, mais et toi, mère, ne veux-tu pas lui être agréable ? Nous avons décidé de ne rien faire. Vais-je revenir sur nos conventions ? Et puis ne rien faire, ce n’est pas à la portée de tout le monde, et ce sera bien plus original comme cela.

Le mot est lâché. Être originale, pour Liette, c’est le comble de l’art en matière de mondanités, comme en peinture ou en littérature. Il ne faut jamais se mettre à la remorque des foules, de leurs conventions et de leurs préjugés. Un préjugé, la robe blanche. Un autre préjugé, les demoiselles d’honneur. Et quant à l’étalage de la corbeille, quant au dîner, quant au bal, Liette y voit autant, d’archaïsmes.

— Et nos amis, qu’en fais-tu ? dit Mme Daliot, comme suprême argument.

— Oh ! ils pourront assister à la bénédiction nuptiale si le cœur leur en dit. Mais il n’y aura pas de « faire part ». Mme Daliot n’est nullement convertie. Même sa contrariété ne fait guère de doute. Mais pour les mères — et ce n’est pas la moindre épreuve de leur vie toute de dévouement — l’heure de l’abdication sonne tôt ou tard et elle sent bien que sa fille lui échappe. Dans un mois, Liette sera femme. Comment, d’ores et déjà, ne s’essaierait-elle pas à voler de ses propres ailes ?

— Tout de même, pense Mme Daliot, j’ai toujours ménagé maman, moi. Aussi me versait-elle les trésors de son expérience et de sa tendresse.

Une mélancolie la gagne, qui la reporte de vingt et quelques années en arrière. Un quart de siècle, pour qui anticipe sur l’avenir, c’est comme l’éternité. Pour qui se retourne vers le passé, c’est bien peu de chose et il semble que les événements qui y font époque affluent aux premiers plans de la mémoire à mesure qu’ils reculent dans l’ordre chronologique.

Elle n’a qu’à clore à demi les yeux, et la magie