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n’a commenée à s’aliéner Rouſſeau que par ſon importunitë à le ſervir, & qui n’a fait naître les ſoupçons de cet homme bizarre que par des actions où d’autres auroient trouvé des ſujets de gratitude : car enfin la volonté ſeule d’obliger doit être déjà comptée pour un bienfait parmi les hommes.

J’apporte pour preuve contre l’accuſation ſon atrocité même & ſon invraiſemblance révoltante. M. Bovier auroit donc voulu empoiſonner Rouſſeau : car c’eſt le vouloir, c’eſt même le faire que de le laifſſer faire. Eh ! pourquoi M. Bovier vouloit-il empoiſonner Rouſſeau ? Quel ſujet fatal d’inimitié avoit pu s’élever entr’eux ? Etoient-ils rivaux d’opinions, de talens, d’intérêt ? Point du tout… Qu’étoit-ce donc ? Le voici. M. Bovier avoit été viſiblement ſuborné par les ennemis conjurés contre Rouſſeau, à Paris, à Londres, à Genève. Eh quels ſont donc ces ennemis qui ont ainſi des bras de 50, de 100, de 500 lieues ? Tous les philoſophes de Paris d’abord, puis tous les miniſtres proteſtans ; ajoutez les prêtres catholiques : en voilà beaucoup. Mais par quel intérêt, par quels moyens, à quel prix enfin ces philoſophes, ces miniſtres, ces prêtres qui n’ont ni argent ni dignité à donner, attendu que ceux qui en ont les gardent prudemment pour eux-mêmes, ont-ils pu ſuborner un homme riche & ſans ambition au fond des Alpes ? Qu’y avoit-il ſur-tout de commun entre ces philoſophes à Paris & M. Bovier à Grenoble ? J’ai honte d’inſiſter. Tout cela fait horreur & pitié : il n’eſt point d’homme ſenſé qui ne s’en moque ou ne s’en indigne ; mais celui qui auroit vu comme moi l’empreſſement naïf ou plutôt l’ardeur & l’espèce de paſſion que M. Bovier mit à obliger