Page:Serge - Carnets, 1952.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

15
CARNETS

fournir aucune information sérieuse. Arrêté en 1930, je ne pus rien faire pour lui, vivant moi-même sous la menace. Mais, dès mon arrivée à Bruxelles en avril dernier, je signalai son cas aux Affaires Étrangères. Spaak écrivit à l’ambassadeur Le Tellier et la libération de G. L. fut très facilement obtenue — ce qui montre qu’il n’y avait rien de sérieux contre lui.

Il vient me remercier. Nous parlons dans mon petit cabinet de travail. Fenêtre sur un vaste paysage de campagne, la ville au loin. Liouba délire à côté. — G. L. a le teint blafard, les traits aigus et heurtés, les grands yeux égarés, d’un bleu fou. Émacié, minable, il parle avec une exaltation joyeuse, s’embrouille, divague, déforme visiblement ce qu’il raconte, invente peut-être — mais les grandes lignes doivent être vraies. (J’ai pendant plus de deux ans suivi son affaire, grâce à sa femme.)

Il est resté en prison près de sept ans. Rentré à Bruxelles en octobre dernier, avec 14 francs, malade et sans savoir où aller. S’est casé à Anvers.

Après son arrestation (Léningrad, 1930), il passa sept mois sans se raser. « Le supplice de la barbe », dit-il. (Je connais ça.) Treize mois sans promenade ni lecture ni ravitaillement de l’extérieur. — À la veille de l’arrestation, on lui avait fait signer une demande de naturalisation soviétique (il sollicitait un passeport pour se rendre à l’étranger). Cette demande servit à faire connaître aux autorités belges qui intercédèrent en sa faveur qu’il était devenu citoyen soviétique.

« Avouez que vous êtes un agent de l’espionnage français, avec le grade de colonel », — etc. On lui montra une déposition signée d’un consul de Lettonie à Léningrad, et une autre de Ramsine, toutes deux le confondant. Il ne sait pas si ces dépositions étaient fausses ou inexistantes. (Singulier : un consul de Lettonie fit d’étranges dépositions lors de l’affaire Kirov, fin 34. Était-il un agent du Guépéou ? Il tenta d’impliquer Trotsky dans l’affaire Nikolaev-Kirov.)

On accuse G. L. d’avoir rempli des missions pour Zinoviev. On lui dit que Body, Hellfer, V. S. sont depuis longtemps en prison. Que Roubinstein (une vieille militante, vaguement d’oppo-