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CARNETS

Il estime ma collaboration à la N.R.F. tout à fait impossible à cause de l’influence matérielle de Malraux et de J.-R. Bloch.

Mon Crapouillot, De Lénine à Staline, est sur la table. Il le trouve bon, avec un décalage à la fin où le lecteur ne suit plus. N’ai-je pas été dominé par l’esprit de parti en parlant de Staline ?

Je réponds que ç’a été écrit en quinze jours, d’une traite, et que je crois être objectif.

Lui : Votre explication du procès de Moscou est la seule intelligible.

Lui : On me traite de trotskyste, — pourquoi pas ?

Son admiration pour L. T.

Sa froideur envers les trotskystes français. Pierre Naville formé par le milieu familial pour une grande ambition. Être Rubens ou Beethoven — ou Lénine ! Il n’aime pas cette ambition déformante, — mais Naville est droit.

La longue conversation décousue tourne sur le rapport entre maître et disciples. Je cite le mot de Zarathoustra-Nietzsche : « Si vous voulez me suivre, reniez-moi ! »

Lui : Bouddha dit : Si vous me rencontrez, tuez-moi.

Moi : Il ne faudrait pas trop le répéter. On le ferait. On n’y manquerait pas…

Détente et rires.

Parlé de l’Espagne, du P.O.U.M. que l’on calomnie (que je défends). On manque de munitions sous Madrid.

Parlé de la mort d’Eugène Dabit, qui avait un si grand talent. Très affecté par son voyage en Russie.

Lui : « À Lille, des ouvriers que je connais, indignés par ce qu’on leur a dit de mon livre, m’ont invité à voir la misère. Nous ayons parcouru ensemble des ruelles, visité un logement de chômeur. — Mais, leur ai-je dit, mes amis ! Si les ouvriers russes avaient de pareils intérieurs ! »

Il mentionne avec dégoût le nom d’Ehrenbourg. Je dis : Un indicateur.

Lui : « Il est venu me demander si je croyais cela et m’a parlé une demi-heure sans que je lui réponde… Alors il n’a plus insisté… »