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En voyant qu’ici-bas tout est leurre (1) et chimère,
A son bonheur passé l’on demande pardon.
Le visage dément cependant les souffrances :
L’allégresse apparaît sous les traits amaigris.
Papillons de l’automne, à ces heures de transes (2),
Comme vous êtes gris !…

Les misères, les deuils, ont leur échelle sombre ;
Pour arriver au but le chemin n’est pas long.
Chaque jour, plus avant, on s’enfonce dans l’ombre ;
Chaque matin, le pied descend un échelon.
Et voilà qu’on atteint la limite suprême
Où l’on voit s’envoler jusqu’aux derniers espoirs…
Papillons de l’hiver, envoyés de Dieu même,
Comme vous êtes noirs !


Les Forts (3)
Fragment.

Comme ennuyé de son impeccable beauté. De la perfection de son stype (4), un palmiste (5), Droit, dans la solitude immense, jaune et triste. Secouait ses cheveux vert sombre, en la clarté Du jour. Sa flèche d’or trouait les hauteurs vides. Emergeant de la spathe (6), uniflore, un bouquet Doré, sentant le musc, conviait au banquet Les essaims vrombissants (7) des abeilJes avides. Et le pollen nacré fuyait comme un adieu… Les gouttes de cristal, sur son front déposées, Descendaient lentement, — pleurs de l’aube ou rosées, — Les cercles espacés marquant l’âge du dieu. Et la brise chantait un hymne du Psalmiste Dans ses longs cheveux verts de Vénus — Astarté ; Et, comme ennuyé de sa magique beauté. Droit, dans la solitude, on voyait le palmiste.

(1) Voir page 318, note 3.

(2) Grande inquiétude, substantif verbal de l’ancien verbe transir (latin transire), qui avait le sens de passer de vie à trépas et signifie aujourd’hui être engourdi par le froid.

(3) Extrait de Rires et Pleurs.

(4) Ou plutôt stipe (latin stipes) tige des arbres monocotylédones, qui n’a pas de rameaux et se termine par une touffe de feuilles.

(5) Palmier portant un bourgeon terminal dit chou-palmiste lequel est un mets estimé sous les tropiques.

(6) Involucre de la fleur mâle du palmier, (dérivé du grec σπᾶθη par le latin spatha).

(7) Mot haïtien qui doit vouloir dire frémissants.