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française sur l’esprit public en Roumanie ; Alexandre A.-G. Stourdza, La Terre et la race roumaine depuis leurs origines jusqu’à nos jours (1904) ; Léo Bachelin, Études roumaines ; Jales Brun Les Roumaines et Roumains ; Léo Claretie, La Roumanie intellectuelle contemporaine (1912).



JULIE HASDEU

Née et morte à Bucarest (1869-1888).

Comme la poétesse de Neuchâtel, Alice de Chambrier, que nous avons étudiée plus haut, elle fut une enfant-prodige : à 11 ans, sans avoir appris notre langue d’une façon régulière, elle faisait déjà des vers français fort bien tournés. Elle vint plus tard à Paris, fréquenta le Lycée Sévigné, passa à l’âge de 16 ans son baccalauréat ès-lettres, et suivit les cours de la Sorbonne où elle étonna ses maîtres par la maturité de ses idées. Son génie poétique s’épanouissait, elle allait devenir un grand poète, quand la Mort vint l’arracher à la Muse : elle avait à peine 18 ans.

À la demande des nombreux admirateurs qu’elle avait, son père, lui-même un philologue très distingué, a publié son œuvre. Comme ceux dont parle Musset, « ses premiers vers sont d’une enfant » ; ils nous frappent d’autant plus par la profondeur et la mélancolie qu’on y découvre. Elle avait une âme ardente mais contenue, une sensibilité frémissante avec un esprit très observateur. Bien qu’elle eût une famille qui la chérissait, la vie la froissa, elle se replia sur elle-même et souffrit. Quelle douleur y avait-il dans cette âme à peine en fleur qui se flétrit si vite ? C’est ce qu’on se demande avec un serrement de cœur en lisant ses vers mélancoliques.


L’éventail[1].


C’est un mignon jouet du siècle des marquises,
Son brin d’ivoire est d’or et d’agate incrusté,
Et sa feuille de gaze aux peintures exquises
Sur un beau sein d’albâtre a souvent palpité.
 
Boucher[2], peintre mignard de ces grâces légères,
Sur l’azur diaphane a peint l’Amour vainqueur,
Qui badine et folâtre autour de deux bergères
Essayant, mais en vain, de leur percer le cœur.

L’enfant a son carquois et ses flèches cruelles.
Il rit : il sait que nul ne peut le désarmer.
Il offre ses cheveux, aux caresses des belles,
Enchanté de se voir redouter, mais aimer.

  1. Ces vers et les suivants sont extraits de Bourgeons d’avril. La pièce est de 1885 ; Julie Hasdeu avait donc 15 ans et demi lorsqu’elle composa cet exquis tableau, digne de Watteau ou de Lancret.
  2. Boucher (1703-1770), peintre parisien, le protégé de Mme  de Pompadour. Il fut le plus fécond des peintres du XVIIIe siècle, mais non le plus remarquable. Ses mythologies et ses pastorales peuplées de bergères enrubannées sont bien inférieures à celles de Watteau (1684-1721) et de Lancret (1690-1743).