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(1899) ; Morgarten (1905) — Critiques à consulter ; Emile Bonjour, Notice-Souvenir de la représentation de Davel (Corbaz et Cie, Lausanne, 1898) : H. Warnery, Semaine littéraire, 30 décembre 1900.


LOUIS DUCHOSAL


Né à Genève en 186$, mort à Genève en 1901.


Il est des âmes héroïques devant lesquelles la critique s’incline avec une respectueuse sympathie : Louis Duchosal fut une de celles-là. Lorsqu’il avait à peine 16 ans, l’ataxie locomotrice le condamna à ne jamais plus marcher. La maladie avait brisé son corps, mais elle ne put lui enlever sa magnifique vaillance morale. Sa volonté fut plus forte que tous les maux ; alors que d’autres se seraient arrêtés découragés, il lisait, pensait, écrivait, mettant sans cesse en action son admirable intelligence. C’est le poète le plus original de la Suisse romande. Bien qu’il se rattache par quelque côté à Verlaine et à son école, sa poésie est très nouvelle de fond et de forme. Si l’on voulait absolument lui trouver des ancêtres littéraires, il faudrait le rattacher aux faiseurs de lieder de l’Allemagne, auxquels il ne ressemble du reste que par le tour de l’imagination. Le rêve ailé, les impressions subtiles et délicates de l’âme, les sanglots de la douleur inéluctable, les sourires aussi, les doux et frais sourires de la Fantaisie : il a exprimé tout cela en une langue neuve, musicale, caressante et suggestive qui prolonge, par son harmonie propre, les sensations qu’elle vient de traduire au lecteur. Ses vers sont à la fois très simples et très littéraires, ou du moins ils sont si littérairement exquis qu’ils paraissent simples. Et pourtant l’âme de poète qui les a conçus est une des plus riches et des plus complètes qui existent au pays de Poésie. On ne peut analyser facilement l’œuvre de Louis Duchosal ; il faut la lire, se laisser prendre l’âme à ses doux rêves, pleurer avec lui ses souffrances, frissonner de ses sensations ; alors, on le comprend, on l’aime et l’on s’explique pourquoi il est un des poètes supérieurs.


La mort de Don Quichotte[1].


Les doigts lents de l’épreuve ont effeuillé les roses
Et dispersé l’espoir promis aux jours futurs,
Ô mon âme, le ciel est sourd, les temps sont durs,
Fais que ton rêve monte, au-dessus, loin des choses.

Les clairons de la gloire ont fini de sonner ;
Le dernier feu s’éteint sur la lande embrumée…
Cherche, pour y bâtir ton palais de fumée,
Une étoile inconnue, un astre abandonné.

  1. Tous les vers de Duchosal reproduits ici sont extraits du recueil Le livre de Thulé (1891). Don Quichotte est le héros du célèbre ouvrage satirique dans lequel Cervantes (1547-1616) fit la parodie des romans chevaleresques alors tant à la mode et montra, d’une façon comique, l’antinomie entre le goût exalté de l’Idéal et le terre à terre de la Réalité. Ici, Duchosal, fait du « chevalier de la Triste Figure, » le symbole de l’Idéalisme noble et pur.