Page:Sensine - Chrestomathie Poètes, Payot, 1914.djvu/646

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
624
chrestomathie française


LE PRIEUR, (qui s’est redressé une dernière fois)

Non ! Non ! Relevez-le et poussez-le dehors,
Vers la honte et l’horreur et la chute et l’abîme !

Les moines relèvent Dom Balthazar et le chassent devant eux jusqu’à la porte de l’église, qu’ils referment sur lui à grand bruit.

Et maintenant qu’à tout jamais son sort
Soit séparé du nôtre et que son crime
Tombe sur lui plus lourd que le couteau
Des échafauds.

Long silence. Thomas ayant ramassé la crosse finit par s’avancer vers le prieur. À ce moment tous les moines, excepté Idesbald et Dom Marc, viennent se ranger autour de Thomas.

THOMAS, (regardant fixement le prieur)

Mon Père ?

LE PRIEUR, (après un silence)

Des échafauds.Soit !

Désignant la porte que dom Balthazar vient de franchir.

Qui soit de ma hauteurPuisqu’il abandonna lui-même
Son droit ; puisqu’il faillit à son devoir suprême ;
Puisqu’il n’est plus personne, hélas ! parmi vous tous,
Qui soit de ma hauteur ni de ma force, vous.
 

Désignant Thomas.

Soyez du moins celui auquel le Ciel accorde
De disputer ce cloître aux temps inexorables
Qui vont venir !

Thomas rend la crosse au Prieur (tout cela semble se faire machinalement).

DOM MARC, (resté seul, devant le crucifix)

Toi seul, tu sais laDu plus profond de ta miséricorde.
Seigneur, sois secourable
Au frère de mon âme, Balthazar.
Toi seul, tu sais la part
Que s’est faite pour l’avenir
Et pour le ciel, son repentir ;
Seigneur, assiste-le, à l’heure
Où les hommes lui sont fureur,
Et le monde, supplice et vilenie[1],

  1. Ce mot, dérivé de vilain, a généralement le sens d’action basse, mais ici il veut dire insulte ; en allemand, Beleidigung ; en anglais, insult ; en italien improperio.