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grégoire le roy


Ma douleur regarde la mort,
Car l’espoir a fermé sa porte…
Et, tristement, le vent du nord
Souffle sur ma chandelle morte.



La Mort qui passe[1].

Par ce minuit d’hiver et de deuil,
La Mort s’en va par le village,
Secouant ses sabots au seuil de nos maisons.
Et c’est Noël sur son passage.

La neige tombe, comme les années,
Lente, silencieuse et patiente,
Et la Mort va, par le village,
Sans savoir où,
Marquant, au gré de son passage,
D’un geste fatidique et fou,
L’une ou l’autre de nos maisons.
Et c’est la Mort qui passe,
Ivre, dans la nuit.

Et les aïeules de la misère,
Par ce long soir de neige et de deuil,
Semblent attendre et parfois entendre
Un passant inconnu s’arrêter sur le seuil.
 
Mais le vent a passé dans les branches qui geignent.
Dans les âmes en deuil et dans les cœurs qui saignent ;
Comme des cors lointains, voilà les souvenirs !
Ils viennent au galop à travers les années,
Et les plaintes d’antan[2], les peines surannées[3].

La meute des douleurs aboie au souvenir !
C’est la chasse qui passe !
Et les voici venir,
En robes de soie,
Les amoureuses et les joies !
Voici le roi ! Voici toute la chasse

  1. Extrait de La Chanson du Pauvre (1907).
  2. Antan, mot archaïque qui vient du latin ante annum, veut dire l’année d’avant, mais il a pris maintenant le sens plus vague d’autrefois.
  3. Suranné, formé de la préposition sur, du nom an et du suffixe é, veut dire exactement : qui a plus d’un an ; ici il a le sens d’ancien. Généralement on lui donne la signification de passé de mode, qui n’est plus de mise : une mode surannée.