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chrestomathie française


Là, sous des robes nuptiales
Dont nul n’entr’ouvrira l’orgueil,
Voilant le mal qui nous fit pâles
Nous illuminons notre deuil,

Et contemplons, bien résignées,
Passer sur l’eau de nos douleurs,
Les barques folles, mais signées[1]
Du souvenir de nos pâleurs.



Les mains[2].

Sur les fenêtres de mon cœur
Deux pâles mains se sont collées,
Mains de douleur et de malheur,
Mains de la mort, mains effilées.

C’était sinistre de les voir
Si nocturnement illunées[3],
Levant vers moi leur désespoir,
Telles que les mains de damnées.

Et celle de ces mains de deuil,
Qui donc pouvait-elle bien être,
Pour que la mort fût sur mon seuil,
Depuis ce soir de la fenêtre ?

Non, ces mains ne pouvaient bénir,
Maudites, certes, étaient-elles ;
Puisque j’ai désiré mourir
D’avoir vu leurs pâleurs mortelles ;

Puisque le vin de mes amours,
Amertueux[4] et plein de larmes,
Endolorit le pain des jours,
Depuis leur signe aux fatals charmes.

Mains sinistres ! mains de poison !
Geste de ténébreuses vierges !
Vous avez lui dans ma maison.
Comme deux mortuaires cierges.

  1. Ici cela veut dire : marquées du signe de nos pâleurs par le souvenir.
  2. Extrait de Mon cœur pleure d’autrefois.
  3. Néologisme forgé par l’auteur, d’après le latin illunis (in sans et luna, lune) ; il signifie ici, contrairement à l’étymologie, éclairé par la lune.
  4. Néologisme créé par l’auteur, d’après le latin amaritosus : plein d’amertume.