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chrestomathie française


ALBERT MOCKEL

Né à Ougrée-lez-Liège en 1866.

Il fut an des symbolistes de la première heure et surtout un verlainien raffiné et subtil. Au début, son credo dut être le vers de son maître :

De la musique avant toute chose.


À Paris, où il habite depuis longtemps, Albert Mockel s’est fortement francisé ; il n’en a pas moins gardé, comme son ami intime van Lerberghe, le goût des visions fuyantes et imprécises, la sensation fraîche et ingénue des phénomènes, la tendance à l’idéalisation de l’homme du Nord. C’est un poète délicat et fin, qui a su unir à la spontanéité de l’inspiration poétique la technique sûre du véritable artiste.



La chambre vide[1].

La lampe est allumée.
Et blanche, glorieuse, toute parée,
la table est prête pour l’accueil.
Unies au lourd argent légué d’anciennes années,
des roses, l’une à l’autre, en guirlandes sourient,
et le cristal qui fait du vin des pierreries
chante déjà la bienvenue
au maître fatigué qui passera le seuil.

La porte est close ; la chambre est tiède et recueillie ;
il semble que le vol des heures s’y repose.
La Joie, — on le dirait, — aux rires de la clarté
scintille clair parmi les frêles verreries.
Mais n’est-ce un long et lourd effluve de mélancolie
qui monte des profondeurs du parc déserté ?…
Ah ! l’odeur est trop douce, de toutes les fleurs exhalées !
Quelque chose s’étouffe ici, d’irrévélé,
et la croisée, ouverte encore
vers l’ombre aux mirages épars,
attend un front pensif qui ne s’y penche pas.

Tout est calme ;
la terre élargit son sommeil,
et les vents dorment au creux des vallées.
Le ciel se meut, profond d’étoiles.
Sur les cimes du parc, là-bas, sur les plaines,
et jusqu’au fleuve dont les eaux pâles
au plus loin des mers sont allées,
la nuit est un voile impalpable qui plane.

  1. Extrait de Chantefable un peu naïve (1891).