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chrestomathie française

Pour s’enfermer avec la lampe et le livre.
Ô vivre
Vaut mieux et faire sonner les dalles de cuivre
De quelque palais triomphal
Ou fouler sans souci aux pieds de son cheval
Les chemins d’herbes ruisselantes
De victoire qui les ensanglantent.

Mais l’heure jeune de soleil gai,
L’heure lassante qui pleure,
Les heures après les heures
Défilent lentes ou gaies
Le long des quais.
Midi s’apaise et des vagues s’allongent
Ô rêves reposés de langueur et de charme,
Ô calmes songes !
Sur la mousse, à l’ombre d’aulnes et d’ormes,
Les pêcheurs paisibles dorment,
Tandis qu’en l’eau presque mourante un long fil plonge.
Nul frisson ne court plus aux feuillages,
Le soleil ne jette aucun rayon,
Tout est calme.

La terre partout, le fleuve et la campagne,
Et l’air engourdi de rayons,
Et la forêt avec ses maisons de feuillages,
Partout où meurent la lumière et les rumeurs,
La terre hésite, inconsistante et calme,
Vision indécise d’un fumeur.

La seule sagesse est de vivre
Les heures du fleuve endormi au long des rives.
S’agiter follement, hélas ! à ne poursuivre
Que d’incléments orgueils qui s’effritent décombres
Aux gouffres de nuit lourde où toute splendeur sombre.
Non ! vivre,
C’est au long cours du fleuve suivre,
Voguer la vie avec le rêve et le désir,
Proue à l’orient d’oubli vers la conquête
De toute la mer ! et de ses îles en fête,
Où nul n’abordera pour vivre
Autre que le héros de son vierge désir,
Ô rêve !