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valère gille

Vers le séjour d’Hadès[1] plein d’ombres incertaines
Le chantre aimé des dieux jaloux a pris son vol.

Quand les derniers rayons s’allongent sur le sol,
Euripide ! écoutant les sanglots des fontaines,
Tu n’iras plus cacher tes souffrances hautaines
Dans la gorge où le pin s’éploie en parasol.

Ta cendre ici repose. Aux champs de Macédoine,
Dans la vallée en deuil, parmi la chélidoine[2],
Sur un socle, j’ai lu tes titres éclatants.

Mais non ! L’inscription est fausse, ô vaine pierre
Que la foudre a frappée et qu’effrite le temps,
Car il a pour tombeau la Grèce tout entière.



Joie[3].

Soudain tout fut clarté, chanson, baiser, sourire,
Et la terre et le ciel semblaient partout redire
L’hymne prodigieux de mon cœur triomphant.
J’étais comme une fleur, j’étais comme un enfant
Dans l’éblouissement de l’aurore première ;
Des tourbillons et des cascades de lumière
M’élevaient, m’emportaient dans un divin émoi.
Chaque être, chaque esprit, chaque chose était moi.
Tout était mon bonheur : j’étais chaque parcelle
De la terre amoureuse où la vie étincelle ;
Je renaissais dans les oiseaux et dans les fleurs,
Dans les rayons qui font pétiller les couleurs,
Dans tout ce qui frémit, dans tout ce qui s’enflamme,
Et le soleil était le frère de mon âme.
En extase, ravi, mon esprit dilaté
Absorbait l’univers entier dans sa clarté ;
J’étais l’immense voix, j’étais l’écho mystique
De cet universel et sublime cantique
Qui vers les astres d’or roule dans l’infini ;
J’étais l’âme du monde. Elle m’avait souri.



Œuvres à lire de Valère Gille (Lacomblez, Larcier, Lamertin, Bruxelles, et Fischbacher, Paris, éditeurs) : Le Château des Merveilles (1893) ; La Cithare (1897) ; Le Collier d’Opales (1809) ; Les Tombeaux (1900) ; Le Coffret d’ébène (1901) ; Ce n’était qu’un rêve, comédie en vers (1902) ; La Corbeille d’Octobre (1902). — Critiques à

  1. Hadès ou Pluton, troisième fils de Saturne et de Rhéa, et roi des Enfers.
  2. Plante vivace de la famille des Papavéracées.
  3. Extrait du recueil Le collier d’Opales (1899).