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chrestomathie française

Était d’avoir dans Suse et dans Persépolis[1]
Des esclaves d’Argos, belles comme des lis :
Pour tromper ses ennuis et ses songes moroses,
Leur beauté fleurira dans ses jardins de roses.
Il verra les enfants de ce peuple orgueilleux
Servir dans ses palais vastes comme les cieux ;
Ils charmeront les yeux des dix mille convives
Qui, dans les cours d’albâtre où chantent les eaux vives,
Sous les rosiers en fleurs et les clairs catalpas,
Chaque jour, vêtus d’or, partagent son repas.
Tel est son bon plaisir. Quant aux vierges hautaines
De la sévère Sparte et de la libre Athènes,
Il songe à les offrir à sa mère Atossa.
Il riait. Qu’est-ce donc que la Grèce ? Il fixa
Son regard de faucon sur ses pâles satrapes
Et dit : Malheur à ceux qui résistent ! En grappes
Je les ferai lier aux cèdres de mon parc ;
Ils entendront ronfler la corde de mon arc,
Je couperai leurs mains, leurs nez et leurs oreilles,
Jamais on n’aura vu des vendanges pareilles ;
J’irai, je briserai les membres et les fronts,
Je dompterai les mers et percerai les monts ;
Ormuzd[2] aura son temple à la cime du Pinde[3].
Il avait étendu la main ; du fond de l’Inde
Jusqu’à la zone où règne un éternel hiver,
Un bruit confus, semblable à celui de la mer,
Gronda sur son royaume, et dura quatre années.


II

Au signal des buccins[4], les hordes déchaînées
S’ébranlent. On croit voir déborder l’océan.
Une rumeur s’élève ainsi qu’un ouragan,
Et, partout, l’horizon fourmille d’une foule
Mouvante, monstrueuse et noire, dont la houle
N’expire qu’aux confins des mondes habités.
C’est le vomissement de toutes les cités.

  1. Villes de la Perse.
  2. Dans la religion perse, révélée par Zoroastre, Ahura-Mazda ou Ormuzd est le principe du bien, le Seigneur et le Sage ; Ahriman est l’esprit du mal, le dieu des ténèbres.
  3. Chaîne de montagnes parallèle à l’Adriatique qui commence en Thessalie et s’étend jusqu’au lac Ochrida, en Epire. Depuis la récente guerre des Balkans, elle est tout entière à la Grèce. Dans la mythologie, elle était consacrée à Mars et à Apollon.
  4. Voir page 221, note 4.