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chrestomathie française

S’est réchauffé le vent errant
Qui toujours va courant, courant,
Si maigre qu’il est transparent.

Il m’a raconté son histoire,
Sa misère, son purgatoire.
Père ni mère il n’a connu ;
Il ne sait où va son pied nu,
Ni d’où, nu-pieds, il est venu.

Une âme est en lui, qu’il ignore,
Une âme innombrable et sonore :
Il la traîne par l’univers ;
Elle est la chanson des blés verts
Et le rugissement des mers.

Il sème les graines fécondes,
Il creuse les fosses des ondes,
Il chante et hurle tour à tour ;
C’est un aveugle, c’est un sourd
Ouvrier de mort et d’amour.

Œuvres à lire d’Anatole Le Braz (Calmann-Lévy, Champion, Bouillon, Ch. Delagrave, éditeurs, Paris) : Rancœurs (1892) ; La Chanson de la Bretagne (1892) ; Tryphina Kéranglaz (poème lu par l’auteur). — Lire aussi quelques-unes de ses œuvres en prose où il y a tant de poésie : Les Chants populaires de la Basse-Bretagne ; Au pays des Pardons ; Le Gardien du feu (roman) ; Le Théâtre celtique ; Contes du Soleil et de la Brume — Critiques à consulter : Philippe Monnier, Semaine littéraire (6 octobre 1900) ; Gaston Deschamps, La Vie et les Livres ; E. van Bever, Les Poètes du terroir (1909).



COMTESSE DE NOAILLES
(Princesse Anna-Elisabeth de Brancovan.)
Née à Thonon (Haute-Savoie) en 1877.

Grecque par sa mère. Roumaine par son père, Française par sa naissance et son éducation, Mme de Noailles débuta par des vers panthéistes où son « cœur innombrable » exprima joyeusement, parfois tumultueusement, l’amour passionné de la nature et de la vie. Le « Grand Pan » semblait ressuscité en elle. Son âme, grisée de sensations et de désirs, était comme une merveilleuse harpe éolienne vibrant à tous les vents des saisons et des jours. On eût dit que la vie du monde fermentait en son cœur. Les critiques la comparaient alors à une faunesse assoiffée de vie sensuelle intense. Pourtant, sous cette sensibilité frémissante et joyeuse, on sentait poindre comme une tristesse rappelant le mot de Lucrèce : Medio de fonte leporum surgit aliquid amari[1]...

  1. Du milieu de la fontaine des plaisirs sourd quelque chose d’amer.