Page:Sensine - Chrestomathie Poètes, Payot, 1914.djvu/32

Cette page n’a pas encore été corrigée


Pourquoi vous retracer à ma triste mémoire,
Doux rêves dont mon cœur en vain fut occupé ?
Et mes rêves d’amour et mes rêves de gloire.
Tout fuit : toi seule, ô mort, ne m’auras pas trompé.


Retour à la vie[1].


Quelle faveur inespérée
M’a rouvert les portes du jour ?
Quel secourable Dieu du ténébreux séjour
Ramène mon ombre égarée ?


Oui, j’avais cru sentir dans des songes confus
S’évanouir mon Âme et défaillir ma vie ;
La molle douleur, par degrés assoupie,
Paraissait s’éloigner de mes sens suspendus,

Et de ma pénible agonie
Les tourments jusqu’à moi déjà n’arrivaient plus,
Que comme dans la nuit parvient à notre oreille
Le murmure mourant de quelques sons lointains,

Ou comme ces fantômes vains
Qu’un mélange indécis de sommeil et de veille
Figure vaguement à nos yeux incertains.
Vous m’êtes échappés, secrets d’un autre monde.

Merveilles de crainte et d’espoir,
Qu’au bout d’un océan d’obscurité profonde
Sur des bords inconnus je croyais entrevoir.

Tandis que mon œil vous contemple,
L’avenir tout à coup a refermé son temple,
Et dans la vie enfin je rentre avec effort.
Mais nul impunément ne vit de tels mystères,
Le jour me rend en vain ses clartés salutaires.

Je suis sous le sceau de la mort !
Marqué de sa terrible empreinte,
Les vivants me verront comme un objet de deuil
Valu reste du trépas, tel qu’une lampe éteinte

Qui fume encor près d’un cercueil.
Pourquoi me renvoyer vers ces rives fleuries
Dont j’aurais tant vouhi ne m’éloigner jamais ?
Pourquoi me rapprocher de ces têtes chéries.
Objet de tant d’amour et de tant de regrets ?

  1. Extrait des Épîtres et Élégies. Au moment où il croyait sa fin prochaine, le jeune poète eut un répit ; il reprit un peu courage et écrivit ces vers, où l’on sent pourtant encore le frisson de la mort.