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trois écritures correspondent à une seule et même prononciation, bhaam̃ta.

Mais la remarque doit-elle être limitée aux documents épigraphiques ? Je ne puis entrer ici dans le détail des indices révélateurs que fournissent les données littéraires et grammaticales. Je ne relève qu’en passant la ya-çruti du pâli des Jainas ; je ne crois pas que personne y voie autre chose qu’un artifice orthographique.

Pour me circonscrire dans les faits signalés, la langue des inscriptions de Kanishka n’est pas simplement une orthographe monumentale sporadique. Elle a son expression dans les livres : le sanscrit buddhique ou ce que l’on appelle plus ordinairement le dialecte des gâthâs n’est rien autre qu’une pareille orthographe immobilisée et consacrée dans le rôle d’une langue littéraire. Par là s’expliquent à la fois et les constantes incohérences de cette sorte d’idiome et son emploi prolongé ; car il se perpétue dans des ouvrages qui, évidemment, appartiennent à des époques très diverses. Ce caractère de langue conventionnelle écarte du même coup une objection qui pourrait venir à l’esprit, je veux parler de ce fait que les orthographes classiques aussi bien que les orthographes populaires y sont, dans les parties versifiées, comptées en général pour la valeur prosodique qu’elles figurent matériellement. Nous tenons donc ici un exemple certain d’une orthographe plus ou moins arbitraire, plus ou moins historique, se transformant en une langue en quelque sorte officielle.

Il est parfaitement clair que l’orthographe de cette langue sera dénuée de toute autorité relativement à la prononciation réelle ; nous ne pouvons supposer un instant que, remontant le cours du développement normal et forcé, la phonétique populaire ait fait revivre spontanément sous Kanishka des prononciations et des formes qui, au témoignage de l’orthographe de Piyadasi, avaient, plus de deux siècles auparavant, cessé déjà d’être vivantes.

L’analogie de ce cas est instructive pour une infinité