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sur les fleurs champêtres, et ferme doucement le livre où s’ensevelissent ses rêves, ses illusions et ses douleurs. « Si j’arrive à la vieillesse ; si un jour, plein de pensées encore, mais renonçant à parler aux hommes, j’ai auprès de moi un ami pour recevoir mes adieux à la terre, qu’on place ma chaise sur l’herbe courte, et que de tranquilles marguerites soient là devant moi, sous le soleil, sous le ciel immense, afin qu’en laissant la vie qui passe je retrouve quelque chose de l’illusion infinie. »

Telle est l’histoire intérieure et sans réserve d’Obermann. Il était peut-être dans la nature d’une pareille donnée de ne pouvoir se poétiser sous la forme d’une action progressive ; car, puisque Obermann nie perpétuellement non-seulement la valeur des actions et des idées, mais la valeur même des désirs, comment concevrait-on qu’il pût se mettre à commencer quelque chose ?

Cette incurie mélancolique, qui encadre de lignes infranchissables la destinée d’Obermann, offrait un type trop exceptionnel pour être apprécié lors de son apparition en 1804. À cette époque, la grande mystification du consulat venait enfin de se dénouer. Mais, préparée depuis 1799 avec une habileté surhumaine, révélée avec pompe au milieu du bruit des armes, des fanfares de la victoire et des enivrantes fumées du triomphe, elle n’avait soulevé que des indignations impuissantes, rencontré que des résistances muettes et isolées. Les préoccupations de la guerre et les rêves de la gloire absorbaient tous les esprits. Le sentiment de l’énergie extérieure se développait le premier dans la jeunesse ; le besoin d’activité virile et martiale bouillonnait dans tous les cœurs. Obermann, étranger par caractère chez toutes les nations, devait, en France plus qu’ailleurs, se trouver isolé dans sa vie de contemplation et d’oisiveté. Peu soucieux de connaître et de comprendre les hommes de son temps, il n’en fut ni connu ni compris, et traversa la foule, perdu dans le mouvement et le bruit de cette cohue, dont il ne daigna pas même regarder l’agitation tumultueuse. Lorsque la chute de l’empire introduisit en France la discussion parlementaire, la discussion devint réellement la monarchie consti-