Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passe ; un nuage devant le soleil intercepte sa lumière féconde ; les oiseaux se taisent ; l’ombre en s’étendant entraîne et chasse devant elle et mon rêve et ma joie.

Alors je me mets à marcher ; je vais, je me hâte pour rentrer tristement, et bientôt je retourne dans les bois, parce que le soleil peut paraître encore. Il y a dans tout cela quelque chose qui tranquillise et qui console. Ce que c’est ? je ne le sais pas bien ; mais, quand la douleur m’endort, le temps ne s’arrête pas, et j’aime à voir mûrir le fruit qu’un vent d’automne fera tomber.

LETTRE XX.

Fontainebleau, 27 août, II.

Combien peu il faut à l’homme qui veut seulement vivre, et combien il faut à celui qui veut vivre content et employer ses jours ! Celui-là serait bien plus heureux qui aurait la force de renoncer au bonheur, et de voir qu’il est trop difficile ; mais faut-il rester toujours seul ? La paix elle-même est un triste bien si on n’espère point la partager.

Je sais que plusieurs trouvent assez de permanence dans un bien du moment, et que d’autres savent se borner à une manière d’être sans ordre et sans goût. J’en ai vu se faire la barbe devant un miroir cassé. Les langes des enfants étaient étendus à la fenêtre ; une de leurs robes pendait contre le tuyau du poêle ; leur mère les lavait auprès de la table sans nappe, où étaient servis, sur des plats recousus, du bouilli réchauffé et les restes du dindon du dimanche. Il y aurait eu de la soupe si le chat n’eût pas renversé le bouillon (E). On appelle cela une vie simple : pour moi, je l’appelle une vie malheureuse, si elle est momentanée ; je l’appelle une vie de misère, si elle est forcée et durable ; mais, si elle est volontaire, si l’on