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d’autres qui ne sont que hasard et discordance, qui passent comme des ombres, et dans lesquelles on ne trouve jamais ce qu’on a vu. Ainsi, dans le sommeil, on pense en même temps des choses vraies et suivies, et d’autres bizarres, désunies et chimériques, qui se lient, je ne sais comment, aux premières. Le même mélange compose et les rêves de la nuit et les sentiments du jour. La sagesse antique a dit que le moment du réveil viendrait enfin.

LETTRE XIV.

Fontainebleau, 7 août, II.

M. W*, que vous connaissez, disait dernièrement : « Quand je prends ma tasse de café, j’arrange bien le monde. » Je me permets aussi ces sortes de songes ; et, lorsque je marche dans les bruyères, entre les genièvres encore humides, je me surprends quelquefois à imaginer les hommes heureux. Je vous l’assure, il me semble qu’ils pourraient l’être. Je ne veux pas faire une autre espèce, ni un autre globe ; je ne veux pas tout réformer : ces sortes d’hypothèses ne mènent à rien, dites-vous, puisqu’elles ne sont applicables à rien de connu. Eh bien, prenons ce qui existe nécessairement ; prenons-le tel qu’il est, en arrangeant seulement ce qu’il y a d’accidentel. Je ne veux pas des espèces chimériques ou nouvelles ; mais voilà mes matériaux, d’après eux je fais mon plan selon ma pensée.

Je voudrais deux points : un climat fixe, des hommes vrais. Si je sais quand la pluie fera déborder les eaux, quand le soleil desséchera mes plantes, quand l’ouragan ébranlera ma demeure, c’est à mon industrie à lutter contre les forces naturelles contraires à mes besoins ; mais, quand j’ignore le moment de chaque chose, quand