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vent et consumés de vétusté, arrêtent la vase et forment une sorte de digue ; des aunes et des coudriers y prirent racine, et rendent ce passage impénétrable. Cependant le ruisseau filtre à travers ces débris ; il en sort tout rempli d’écume pour former un bassin naturel d’une grande pureté. De là il s’échappe entre les rocs ; il roule sur la mousse ses flots précipités ; et beaucoup plus bas, il ralentit son cours, quitte les ombrages, et passe devant la maison sous un pont de trois planches de sapin.

On dit que les loups, chassés par l’abondance des neiges, descendent, en hiver, chercher jusque-là les os et les restes des viandes qu’il faut à l’homme même dans les vallées pastorales. La crainte de ces animaux a longtemps laissé cette demeure inhabitée. Pour moi, ce n’est pas ce que j’y craindrai. Que l’homme me laisse libre, du moins près de leurs antres !

LETTRE VI.

Saint-Maurice, 26 août, I.

Un instant peut changer nos affections, mais ces instants sont rares.

C’était hier : j’ai remis au lendemain pour vous écrire ; je ne voulais pas que ce trouble passât si vite. J’ai senti que je touchais à quelque chose. J’avais comme de la joie, je me suis laissé aller ; il est toujours bon de savoir ce que c’est.

N’allez pas rire de moi, parce que j’ai fait tout un jour comme si je perdais la raison. Il s’en est peu fallu, je vous assure, que je fusse assez simple pour ne pas soutenir ma folie un quart d’heure.

J’entrais à Saint-Maurice. Une voiture de voyage allait au pas, et plusieurs personnes descendaient aussi le pont.