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l’inquiétude qui m’égare, où j’aime à revenir lorsque j’ai parcouru toutes choses, et que je me suis trouvé seul dans le monde. Si nous vivions ensemble, si nous nous suffisions, je m’arrêterais là, je connaîtrais le repos, je ferais quelque chose sur la terre, et ma vie commencerait. Mais il faut que j’attende, que je cherche, que je me hâte vers l’inconnu, et que, sans savoir où je vais, je fuie le présent comme si j’avais quelque espoir dans l’avenir.

Vous excusez mon départ ; vous le justifiez même ; et cependant, indulgent avec des étrangers, vous n’oubliez pas que l’amitié demande une justice plus austère. Vous avez raison, il le fallait ; c’est la force des choses. Je ne vois qu’avec une sorte d’indignation cette vie ridicule que j’ai quittée ; mais je ne m’en impose pas sur celle que j’attends. Je ne commence qu’avec effroi des années pleines d’incertitudes, et je trouve quelque chose de sinistre à ce nuage épais qui reste devant moi.

LETTRE V.

Saint-Maurice, 18 août, I.

J’attendais pour vous écrire que j’eusse un séjour fixe. Enfin je suis décidé ; je passerai l’hiver ici. Je ferai auparavant des courses peu considérables ; mais, dès que l’automne sera avancée, je ne me déplacerai plus.

Je devais traverser le canton de Fribourg, et entrer dans le Valais par les montagnes ; mais les pluies m’ont forcé de me rendre à Vevay, par Payerne et Lausanne. Le temps était remis lorsque j’entrai à Vevay ; mais, quelque temps qu’il eût fait, je n’eusse pu me résoudre à continuer