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la nature... Je ne pleurai point ; je n’ai plus de larmes. Je sentis que je me refroidissais ; je me levai, je marchai, et le mouvement me fut utile.

Insensiblement je revins à ma première recherche. Comment me fixer ? le puis-je ? et quel lieu choisirai-je ? Comment, parmi les hommes, vivre autrement qu’eux ; ou comment vivre loin d’eux sur cette terre dont ils fatiguent les derniers recoins ? Ce n’est qu’avec de l’argent que l’on peut obtenir même ce que l’argent ne paye pas, et que l’on peut éviter ce qu’il procure. La fortune que je pouvais attendre se détruit. Le peu que je possède maintenant devient incertain. Mon absence achèvera peut-être de tout perdre ; et je ne suis point d’un caractère à me faire un sort nouveau. Je crois qu’il faut en cela laisser aller les choses. Ma situation tient à des circonstances dont les résultats sont encore éloignés. Il n’est pas certain que, même en sacrifiant les années présentes, je trouvasse les moyens de disposer à mon gré l’avenir. J’attendrai ; je ne veux pas écouter une prudence inutile, qui me livrerait de nouveau à des ennuis devenus intolérables. Mais il m’est impossible maintenant de m’arranger pour toujours, et de prendre une position fixe et une manière de vivre qui ne change plus. Il faut bien différer, et longtemps peut-être : ainsi se passe la vie ! Il faut livrer des années encore aux caprices du sort, à l’enchaînement des circonstances, à de prétendues convenances. Je vais vivre comme au hasard, et sans plan déterminé, en attendant le moment où je pourrai suivre le seul qui me convienne. Heureux si, dans le temps que j’abandonne, je parviens à préparer un temps meilleur ; si je puis choisir, pour ma vie future, les lieux, la manière, les habitudes, régler mes affections, me réprimer, et retenir dans l’isolement et dans les bornes d’une nécessité accidentelle ce cœur avide et simple, à qui rien ne sera donné ; si je puis lui appren-