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ou m’assoupit alternativement à ma grande satisfaction.

Plus bas, dans la vallée, je rencontrai des gens chargés de ces goîtres énormes qui m’avaient beaucoup frappé de l’autre côté du Saint-Bernard, à l’époque de mes premières incursions dans le Valais. A un quart de lieue de Saint-Maurice, il est un village tellement garanti des vents froids par sa situation très-remarquable, que des lauriers ou des grenadiers pourraient y subsister sans d’autre abri en toute saison ; mais assurément les habitants n’y songent guère. Trop bien préservés des frimas, et dès lors affligés du crétinisme, ils végètent indifférents au pied de leurs immenses rochers, ne sachant pas même ce que c’est que ce mouvement des étrangers qui passent à si peu de distance de l’autre côté du fleuve. Je résolus d’aller voir de plus près, en redescendant vers la Suisse, ces hommes endormis dans une lourde ignorance, pauvres sans le savoir, et infirmes sans précisément souffrir : je crois ces infortunés plus heureux que nous.


Sans l’exactitude scrupuleuse de mon récit, il serait si peu susceptible d’intérêt, que votre amitié même ne lui en trouverait pas. Pour moi, je ne me rappelle que trop une fatigue que je ne ressentais pas alors, mais qui m’a privé sans retour de la fermeté des pieds. J’oublierai moins encore que, jusqu’à présent, les deux heures de ma vie où je fus le plus animé, le moins mécontent de moi-même, le moins éloigné de l’enivrement du bonheur, ont été celles où, pénétré de froid, consumé d’efforts, consumé de besoin, poussé quelquefois de précipices en précipices avant de les apercevoir et n’en sortant vivant qu’avec surprise, je me disais toujours, et je disais simplement dans ma fierté sans témoins : Pour cette mi-