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nations faibles, qui, après avoir été un peu vives, deviennent débiles. Ces hommes-là, s’étant figuré les choses autrement qu’elles ne doivent être, se sont passionnés. L’épreuve les a désabusés ; ne pouvant plus imaginer avec exagération, ils n’imaginent plus. Les fictions vraies, pour ainsi dire, leur étant interdites, ils auraient besoin de riants souvenirs ; sans cela nulle pensée ne les flatte. Mais celui dont l’imagination est puissante et juste peut toujours se faire une idée assez positive des divers biens, lorsque le sort lui laisse du calme ; il n’est pas au nombre de ceux qui ne connaissent en cela que ce qu’ils ont appris anciennement.

Il me restera pour la douceur journalière de la vie notre correspondance et Fonsalbe : ces deux liens me suffiront. Jusque dans nos lettres, cherchons le vrai sans pesantes dissertations comme sans systèmes opiniâtres : invoquons le vrai immuable. Quelle autre conception soutiendrait l’âme, fatiguée quelquefois de ces vagues espérances, mais bien plus étonnée d’elle-même, bien plus délaissée quand elle a perdu et les langueurs et les délices de cette active incertitude ? La justice du moins a son évidence. Généralement vous recevez en paix les lumières morales ; je les poursuis dans mon inquiétude : notre union subsistera.

LETTRE XCI.

Sans date connue.[1]

Je ne vous ai jamais conté l’embarras où je me suis vu, un jour que je voulais franchir les Alpes d’Italie.

Je viens de me rappeler fortement cette circonstance, en lisant quelque part : « Nous n’avons peut-être reçu la

  1. Cette lettre d’Obermann, recueillie depuis l’édition précédente, a déjà été imprimée dans les Navigateurs.