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sans lui, que deviendrais-je ? Mais il ne saura pas combien l’idée de sa sœur est présente dans ces solitudes. Ces gorges sombres ! ces eaux romantiques ! elles étaient muettes, elles le seront toujours ! Cette idée n’y met point la paix de l’oubli du monde, mais l’abandon des déserts. Un soir nous étions sous les pins ; leurs cimes agitées étaient remplies des sons de la montagne, nous parlions, il la pleurait ! Mais un frère a des larmes.

Je ne fais point de serments, je ne fais point de vœux ; je méprise ces protestations si vaines, cette éternité que l’homme croit ajouter à ses passions d’un jour. Je ne promets rien, je ne sais rien : tout passe, tout homme change ; mais je me trompe bien moi-même, ou il ne m’arrivera pas d’aimer. Quand le dévot a rêvé sa béatitude, il n’en cherche plus dans le monde terrestre ; et s’il vient à perdre ses ravissantes illusions, il ne trouve aucun charme dans les choses trop inférieures aux premiers songes.

Et elle traînera la chaîne de ses jours avec cette force désabusée, avec ce calme de la douleur qui lui va si bien. Plusieurs de nous seraient peut-être moins à leur place s’ils étaient moins éloignés d’être heureux. Cette vie passée dans l’indifférence au milieu de tous les agréments de la vie, et dans l’ennui avec une santé inaltérable ; ces chagrins sans humeur, cette tristesse sans amertume, ce sourire des peines cachées, cette simplicité qui abandonne tout quand on pourrait prétendre à tout, ces regrets sans plainte, cet abandon sans effort, ce découragement dont on dédaigne l’affliction ; tant de biens négligés, tant de pertes oubliées, tant de facultés dont on ne veut plus rien faire : tout cela est plein d’harmonie, et n’appartient qu’à elle. Contente, heureuse, possédant tout ce qui semblait lui être dû, peut-être eût-elle moins été elle-même. L’adversité est bonne à qui la porte ainsi ; et je suppose que