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comme pour m’en éloigner. Sans avoir aimé, je me voyais dans une sorte d’impuissance d’aimer désormais, ainsi que ces hommes en qui une passion profonde a détruit le pouvoir de sentir une affection nouvelle. Ce souvenir n’était pas l’amour, puisque je n’y trouvais point de consolation, point d’aliment : il me laissait dans le vide, et il semblait m’y retenir ; il ne me donnait rien, et il semblait s’opposer à ce qu’il me fût donné quelque chose. Je restais ainsi sans posséder ni l’ivresse heureuse que l’amour soutient, ni cette mélancolie amère et voluptueuse dont aiment à se consumer nos cœurs encore remplis d’un amour malheureux.

Je ne veux point vous faire la fatigante histoire de mes ennuis. J’ai caché dans mes déserts ma fortune sinistre ; elle entraînerait ce qui m’environne, elle a manqué vous envelopper vous-même. Vous avez voulu tout quitter pour devenir triste et inutile comme moi, mais je vous ai forcé de reprendre vos distractions. Vous avez cru même que j’en avais aussi trouvé ; j’ai entretenu doucement votre erreur. Vous avez su que mon calme ressemblait au sourire du désespoir, j’aurais voulu que vous y fussiez plus longtemps trompé. Je prenais pour vous écrire le moment où je riais.... où je ris de pitié sur moi-même, sur ma destinée, sur tant de choses dont je vois les hommes gémir en répétant qu’elles vont cesser.

Je vous en dis trop ; mais le sentiment de ma destinée m’élève et m’accable. Je ne puis chercher quelque chose en moi, sans y trouver le fantôme de ce qui ne me sera jamais donné.

C’est une nécessité qu’en vous parlant d’elle je sois tout à fait moi. Je n’entends pas bien quelle réserve je devais m’imposer en cela. Elle sentait comme moi, une même langue nous était commune : sont-ils si nombreux ceux qui s’entendent ? Cependant je ne me livrais pas à