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nous prétendons nous en consoler en songeant aux ennuis, aux contraintes futiles et inévitables de la société en général. Cependant n’aurait-on pas pu parvenir à ne voir que des connaissances intimes ? Que mettrons-nous à la place de cette manière que les femmes seules peuvent avoir, qu’elles ont dans les capitales de la France, de cette manière qu’elles rendent si heureuse, et qui les rend aussi nécessaires à l’homme de goût qu’à l’homme passionné ? C’est par là que notre solitude est profonde, et que nous y sommes dans le vide des déserts.

A d’autres égards, je croirais que notre manière de vivre est à peu près celle qui emploie mieux le temps. Nous avons quitté le mouvement de la ville ; le silence qui nous environne semble d’abord donner à la durée des heures une constance, une immobilité qui attriste l’homme habitué à précipiter sa vie. Insensiblement et en changeant de régime, on s’y fait un peu. En redevenant calme, on trouve que les jours ne sont pas beaucoup plus longs ici qu’ailleurs. Si je n’avais cent raisons, les unes assez solides, les autres un peu misérables de ne point vivre en montagnard, j’aurais un mouvement égal, une nourriture égale, une manière égale. Sans agitation, sans espoir, sans désir, sans attente, n’imaginant pas, ne pensant guère, ne voulant rien de plus, et ne songeant à rien de nouveau, je passerais d’une saison à une autre et du temps présent à la vieillesse, comme on passe des longs jours aux jours d’hiver, sans en apercevoir l’affaiblissement uniforme. Quand la nuit viendrait, j’en conclurais seulement qu’il faut des lumières, et quand les neiges commenceraient, je dirais qu’il faut allumer les poêles. De temps à autre j’apprendrais de vos nouvelles, et je quitterais un moment ma pipe pour vous répondre que je me porte bien. Je deviendrais content ; je parviendrais à trouver l’anéantissement des jours assez rapide dans la