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sous un autre. Il n’est pas si facile de concilier les divers principes de notre conduite. On sait que le célibat en général est un mal ; mais que l’on puisse en blâmer tel ou tel particulier, c’est une question très-différente. Je me défends, il est vrai, et ce que je dis tend à m’excuser moi-même ; mais qu’importe que cette cause soit la mienne, si elle est bonne. Je ne veux faire en sa faveur qu’une observation dont la justesse me paraît évidente. Je suis bien aise de vous la faire à vous, qui m’auriez volontiers contesté, un certain soir, l’extrême besoin d’une réforme pour mettre de l’unité, de l’accord, de la simplicité dans les règles de nos devoirs ; à vous, qui m’avez accusé d’exagération lorsque j’avançais qu’il est plus difficile et plus rare d’avoir assez de discernement pour connaître le devoir que de trouver assez de forces pour le suivre. Vous aviez pour vous de grandes autorités anciennes et modernes ; j’en avais d’aussi grandes, et de très-bonnes intentions peuvent avoir trompé sur cela les Solon, les Cicéron, et d’autres encore.

L’on suppose que notre code moral est fait. Il n’y a donc plus qu’à dire aux hommes : Suivez-le ; si vous étiez de bonne foi, vous seriez toujours justes[1]. Mais moi, j’ai le malheur de prétendre que ce code est encore à faire ; je me mets au nombre de ceux qui y voient des contradictions, principes de fréquentes incertitudes, et qui plaignent les hommes justes, plus embarrassés dans le choix que faibles dans l’exécution. J’ai vu des circonstances où je défie l’homme le plus inaccessible à toute considération personnelle de prononcer sans douter, et où le moraliste le plus exercé ne prononcera jamais aussi vite qu’il est souvent nécessaire d’agir.

  1. C’est le sens du mot de Solon et du passage du de Officiis qui ont apparemment donné lieu de citer Cicéron et Solon.