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tit : l’œuvre est déjà commencée, et les siècles de vie subsisteront quand nous, nos plaintes, notre espérance et nos systèmes aurons à jamais passé.

Voilà ce que les anciens pressentaient : ils conservaient le sentiment de la détresse de la terre. Cette idée vaste et profonde a produit les institutions des premiers âges, elles durèrent dans la mémoire des peuples comme le grand monument d’une mélancolie sublime. Mais des hordes restées barbares, et des hordes formées par quelques fugitifs qui avaient oublié les traditions antiques en errant dans leurs forêts, des Pélasges, des Scythes, des Scandinaves, ont répandu les dogmes gothiques, les fictions des versificateurs, et la fausse magie[1] des sauvages : alors l’histoire des choses en est devenue l’énigme, jusqu’au jour où un homme, qui a trop peu vécu, s’est mis à déchirer quelque partie du voile étendu par les barbares[2].

Ensuite je fais un mouvement qui me distrait, je change d’attitude, et je ne vois plus rien de tout cela.

D’autres fois je me trouve dans une situation indéfinissable ; je ne dors ni ne veille, et cette incertitude me plaît beaucoup. J’aime à mêler, à confondre les idées du jour et celles du sommeil. Souvent il me reste un peu de l’agitation douce que laisse un songe animé, effrayant, singulier, rempli de ces rapports mystérieux et de cette incohérence pittoresque qui amusent l’imagination.

Le génie de l’homme éveillé n’atteindrait pas à ce que lui présentent les caprices de la nuit. Il y a quelque temps que je vis une éruption de volcan ; mais jamais l’horreur des volcans ne fut aussi grande, aussi épou-

  1. On voit que le mot magie doit être pris ici dans son premier sens, et non pas dans l’acception nouvelle : en sorte que, par fausse magie, il faut entendre à peu près la magie des modernes.
  2. B.. ... mourut à trente-sept ans, et il avait fait l’Antiq. dév.