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comme un agent direct, et enfin comme une partie essentielle de l’être unique, qui alors deviendra vraiment universel et vraiment un.

Le bœuf est fort et puissant ; il ne le sait même pas. Il absorbe une multitude de végétaux, il dévore un pré ; quel grand avantage en va-t-il retirer ? Il rumine, il végète pesamment dans l’étable où l’enferme un homme triste, pesant, inutile comme lui. L’homme le tuera, il le mangera, il n’en sera pas mieux ; et, après que le bœuf sera mort, l’homme mourra. Que restera-t-il de tous deux ? un peu d’engrais qui produira des herbes nouvelles, et un peu d’herbe qui nourrira des chairs nouvelles. Quelle vaine et muette vicissitude de vie et de mort ! quel froid univers ! Et comment est-il bon qu’il soit au lieu de n’être pas ?

Mais, si cette fermentation silencieuse et terrible qui semble ne produire que pour immoler, ne faire que pour que l’on ait été, ne montrer les germes que pour les dissiper, ou n’accorder le sentiment de la vie que pour donner le frémissement de la mort ; si cette force qui meut dans les ténèbres la matière éternelle, lance quelques lueurs pour essayer la lumière ; si cette puissance qui combat le repos et qui promet la vie, broie et pulvérise son œuvre afin de la préparer pour un grand dessein ; si ce monde où nous paraissons n’est que l’essai du monde ; si ce qui est ne fait qu’annoncer ce qui doit être ; cette surprise que le mal visible excite en nous ne paraît-elle pas expliquée ? Le présent travaille pour l’avenir, et l’arrangement du monde est que le monde actuel soit consumé ; ce grand sacrifice était nécessaire, et n’est grand qu’à nos yeux. Nous passons dans l’heure du désastre ; mais il le fallait, et l’histoire des êtres d’aujourd’hui est dans ce seul mot : ils ont vécu. L’ordre fécond et invariable sera le produit de la crise laborieuse qui nous anéan-