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J’ai encore une autre pensée : Fonsalbe a un fils et une fille. Mais j’attends, pour vous en dire davantage, que mon projet soit définitivement arrêté ; d’ailleurs ceci tient à plusieurs détails qui vous sont encore inconnus, et dont je dois vous instruire. Fonsalbe m’a déjà dit que je pouvais vous parler de tout ce qui le concerne, et qu’il ne vous regardait point comme un tiers : seulement vous brûlerez les lettres.

LETTRE LXXXIV.

Saint-Maurice, 7 octobre, IX.

Un Américain ami de Fonsalbe vient de passer ici pour se rendre en Italie. Ils sont allés ensemble jusqu’à Saint-Branchier, au pied des montagnes. Je les accompagnai : je comptais m’arrêter à Saint-Maurice, mais j’ai continué jusqu’à la cascade de Pissevache, qui est entre cette ville et Martigni, et que j’avais vue autrefois seulement depuis la route.

Là, j’ai attendu le retour de la voiture. Il faisait un temps agréable, l’air était calme et très-doux : j’ai pris, tout habillé, un bain de vapeurs froides. Le volume d’eau est considérable, et la chute a près de trois cents pieds. Je m’en approchai autant qu’il me parut possible ; et en un moment je fus mouillé comme si j’eusse été plongé dans l’eau.

Je retrouvai pourtant quelque chose des anciennes impressions lorsque je fus assis dans la vapeur qui rejaillit vers les nues, au bruit si imposant de cette eau qui sort d’une glace muette, et coule sans cesse d’une source immobile, qui se perd avec fracas sans jamais finir, qui se précipite pour creuser des abîmes, et qui semble tomber éternellement. Nos années et les siècles de l’homme descendent ainsi : nos jours s’échappent du silence, la néces- -