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vie m’ennuie et m’amuse. Venir, s’élever, faire grand bruit, s’inquiéter de tout, mesurer l’orbite des comètes, et, après quelques jours, se coucher sous l’herbe d’un cimetière ; cela me semble assez burlesque pour être vu jusqu’au bout.

Mais pourquoi prétendre que c’est l’habitude des ennuis, ou le malheur d’une manière sombre, qui dérangent, qui confondent nos désirs et nos vues, qui altèrent notre vie elle-même dans ce sentiment de la chute et du néant des jours de l’homme ? Il ne faut pas qu’une humeur mélancolique décide des couleurs de la vie. Ne demandez point au fils des Incas enchaîné dans les mines d’où l’on tira l’or du palais de ses ancêtres et des temples du soleil, ou au bourgeois laborieux et irréprochable dont la vieillesse mendie infirme et dédaignée ; ne demandez point à d’innombrables malheureux ce que valent et les espérances et les prospérités humaines ; ne demandez point à Héraclite quelle est l’importance de nos projets, ou à Hégésias quelle est celle de la vie. C’est Voltaire comblé de succès, fêté dans les cours et admiré dans l’Europe ; c’est Voltaire célèbre, adroit, spirituel et généreux ; c’est Sénèque auprès du trône des Césars, et près d’y monter lui-même ; c’est Sénèque soutenu par la sagesse, amusé par les honneurs, et riche de trente millions ; c’est Sénèque utile aux hommes, et Voltaire se jouant de leurs fantaisies, qui vous diront les jouissances de l’âme et le repos du cœur, la valeur et la durée du mouvement de nos jours.

Mon ami ! je reste encore quelques heures sur la terre. Nous sommes de pauvres insensés quand nous vivons ; mais nous sommes si nuls quand nous ne vivons pas ! Et puis on a toujours des affaires à terminer : j’en ai maintenant une grande, je veux mesurer l’eau qui tombera ici pendant dix années. Pour le thermomètre, je l’ai aban-